Devoir de vigilance et sous-traitance à La Poste : 19 septembre 2023, le procès de la honte
15/09/2023Entamée en juillet 2020 une procédure visant à mettre le groupe La Poste devant ses responsabilités en matière de devoir de vigilance est appelée devant le TGI de Paris ce 19 septembre 2023. Le litige – qui sera la première application par un juge du fond de la loi Devoir de Vigilance - porte principalement principalement sur les carences du groupe public en matière d’identification, d’évaluation, d’action et de prévention des atteintes graves à la santé et à la sécurité des travailleurs dans le cadre de la sous-traitance de ses activités. La Poste fait en effet un carton plein en niant avec constance sa responsabilité dans l’emploi de travailleurs sans papiers dans ses filiales Chronopost et DPD. Ce sont en effet plusieurs centaines de travailleurs qui sont victimes d’un système d’exploitation leur réservant sciemment les tâches les plus difficiles des centres de traitement des colis, souvent de nuit pendant 3 ou 4 heures. Plus largement la collectivité est aussi victime puisqu’il s’agit de travail dissimulé et de délit de marchandage qui échappent aux cotisations sociales.
Dans cette affaire, ce qui est reproché à la Poste, c’est de fermer les yeux sur ce qui se passe dans ces entrepôts où sont exploités des sans-papiers par les sous-traitants de la Poste alors qu’en vertu de la loi Devoir de vigilance, la Poste a l’obligation de prendre des mesures concrètes (et pas uniquement des belles déclarations) vis-à-vis de ses sous-traitants pour mettre un terme à cette exploitation.
Le déni d’une direction qui assume pleinement la sous-traitance massive
Mise en demeure depuis plus de trois ans, La Poste, dont le Président se réfugie dans le déni en s’estimant « trahi » par son sous-traitant la société de services Derichebourg, refuse de discuter sur le sujet. De leur côté la tutelle de l’État et la Caisse des Dépôts, propriétaire majoritaire du groupe, sont muets. Au final les travailleurs sans-papiers sont prisonniers d’un cercle vicieux puisque les fournisseurs de main d’œuvre de La Poste refusent de leur fournir des certificats de travail, l’État et ses préfectures les renvoient dans les cordes et La Poste, sous contrôle du même État continue à avoir recours à la même sous-traitance irrégulière. Les collectifs des piquets de sans-papiers de Chronopost et DPD continuent d’ailleurs de se mobiliser chaque semaine pour dénoncer cette situation.
Un groupe public qui s’estime au-dessus des lois
Derrière cette affaire, c’est bien le procès de la négligence du groupe La Poste qui est en jeu. Le groupe, comme sa défense le démontre largement, considère que son devoir de vigilance est une affaire de communication, à inscrire dans la démarche RSE. Le manquement « sélectif » au devoir de vigilance a ainsi tout récemment conduit la direction à cacher une affaire assez grave aux parties prenantes qui doivent participer à l’élaboration du plan de vigilance, en l’occurrence les syndicats. En février 2022 la direction a dissimulé aux parties prenantes le fait que BRT, premier opérateur italien et propriété de La Poste française était sous le coup d’une enquête de la justice anti-mafia dès le mois de décembre 2022. Comme en France, il s’agit de travail dissimulé et de délit de marchandage avec un système d’exploitation très rôdé de travailleurs précaires. Une enquête qui a finalement conduit un procureur de Milan à nommer un moniteur judiciaire pour contrôler les opérations de sous-traitance. Au final l’addition se révèle salée avec plus de 160 millions d’€ de redressement pour le groupe La Poste.
Un dossier exemplaire sur la responsabilité publique
Là encore, le gouvernement français est parfaitement au fait de ces dérives et n’agit pas pour remédier à cette situation qui peut se répéter dans n’importe quelle filiale du groupe puisque sa direction n’effectue aucun contrôle réel et sérieux des processus, pourvu que les marges bénéficiaires soient au rendez-vous. A l’heure où le devoir de vigilance devient un sujet à l’échelle Européenne, la mise en cause d’un groupe public, sous contrôle de l’État doit aussi servir de signal pour renforcer une directive notamment dans la recherche de responsabilités de tous les donneurs d’ordre, fussent-t-ils publics.