Encore du sang et des larmes !
Le mois de juillet est celui de la présentation des comptes à la mi-année de l’entreprise. C’est donc le moment pour faire le point sur la trajectoire fixée depuis le début de l’année par la direction. Au vu des résultats, la situation est loin d’être reluisante. La direction communique déjà en indiquant que le dossier Mandarine ne sera pas suffisant pour limiter la casse ! Elle annonce donc un plan d’économie supplémentaire de 300 millions d’euros qui, n’en doutons pas, va impacter l’emploi et les conditions de travail.
Les années se suivent et se ressemblent...
Pour la deuxième année consécutive, les comptes continuent leur chute dans tous les secteurs de l’entreprise. Si le chiffre d’affaires (CA) est en hausse (+ 4,5 %), le résultat d’exploitation1 (REX) est en baisse de 29 %. Pire, hors acquisitions2, le CA stagne (+ 0,8 %) et le REX baisse de 36 %. Le résultat net est quant à lui en baisse de 25 %.
La direction pointe toujours la baisse des volumes du courrier (-7.5 %) mais elle s’est également montrée très inquiète sur la Banque dont les résultats ne sont pas ceux escomptés. La Banque Postale, dans ses prévisions, essaie de tenir compte depuis plusieurs années des taux bas, mais là, elle réalise qu’ils risquent de le rester durablement… Le taux enregistré sur le 1er semestre 2019 est le plus bas depuis 2011 et le 2ème semestre commence bien mal puisqu’ils sont même devenus négatifs… La Poste comptait sur la Banque pour compenser la baisse du courrier, elle va devoir revoir sa copie.
Et cette année, s’ajoute diverses mesures gouvernementales : la prime versée suite au mouvement des gilets jaunes et pour la Banque le plafonnement de l’augmentation des frais bancaires et des frais d’impayés dont le maximum a été fixé à 25 €/mois.
La direction nous explique que les résultats sont mauvais mais que la stratégie de l’entreprise est la bonne : il va falloir continuer à faire des rachats de boites pour grossir davantage, et en ce sens l’opération Mandarine est une bonne chose. La Poste réalise encore des bénéfices, mais ce n’est pas suffisant, elle a donc indiqué qu’elle a décidé de mettre en œuvre un plan d’économies supplémentaires de 300 millions d’euros...
*1 = Résultats de l’entreprise avant résultat financier
*2= C’est-à-dire sans les achats d’entreprises
Branche Courrier Colis
Les résultats de la Branche Courrier continuent de baisser (- 367 M € de CA) qu’une nouvelle augmentation du prix du timbre n’est pas parvenue à compenser (+180 M€ de CA). Pour cette Branche, c’est un recul du REX de 23 %, malgré une augmentation du chiffre d’affaires dû à des rachats d’entreprises. Les fortes augmentations successives du prix du timbre qui a doublé en 6 ans, contribuent à la baisse des volumes du courrier traditionnel, sur laquelle La Poste verse des larmes de crocodile. La prochaine prévue en janvier 2020 — le montant du timbre vert atteindra quasiment 1 euro - va encore faire franchir un palier supplémentaire. De la même façon, la baisse de volume pour la deuxième année de la lettre recommandée n’est pas un bon signe.
Les nouveaux services et à la « silver » économie, quant à eux, sont toujours loin de représenter un modèle alternatif, voire complémentaire, même si la direction se félicite d’avoir dépassé ses objectifs. Ils ne constituent toujours que 1 % du REX du courrier, et leur REX est même en diminution pour les nouveaux services…
La dégringolade de la logistique continue. L’avenir de Viapost Logistique Connecté et de ses salarié·e·s risque d’être en jeu.
La Banque
Pourtant présentée comme un fleuron de La Poste, son Produit Net Bancaire (PNB) est encore en recul de 3 %, essentiellement à cause de la baisse des taux mais aussi à cause du gel des tarifs bancaires et du plafonnement des frais d’incidents bancaires.
La direction a indiqué que sans cette obligation, le PNB aurait stagné (proche d’une évolution zéro). La direction de l’entreprise semble se désoler de ce fait. Pour nous, il s’agit d’une mesure qui doit se pérenniser, voire même être accentuée car les frais bancaires sont devenus un coût important pour les ménages, et notamment les plus défavorisés.
Cependant, on ne peut écarter, dans les causes de ce recul, le mode de gestion d’une banque qui veut jouer dans la cour des grands sans s’en donner les moyens.
Résultat : aujourd’hui il y a seulement un compte ouvert pour sept clôturés. La suppression constante de personnel et l’externalisation d’activités provoquent trop souvent une baisse importante de la qualité de service, notamment sur les chèques et leurs délais d’encaissement.
Le Réseau
Cette fois, ce sont à la fois le CA et le REX qui sont en baisse pour la Branche. Alors que la fréquentation des bureaux de poste continue à baisser (- 3.5 %), entretenue voire accélérer par la fermeture des bureaux, celle des automates chute fortement : - 12.9 % pour ceux du courrier-colis et - 6.3 % pour les automates bancaires. Les effets des paiements sans contact commencent à se faire sentir fortement dans l’utilisation du cash et le discours de la Banque Postale change puisque son patron réfléchit, comme les autres banques, à diminuer le coût de ses distributeurs.
Colis express- GEOPOST
Cette Branche connaît une augmentation de 7,2 % de son CA, et de 3,2 % de son REX, mais ces chiffres sont artificiels. En effet, une nouvelle norme comptable européenne (IFRS 16) oblige La Poste à comptabiliser ses locations différemment. Désormais, les locations doivent apparaître dans le bilan des entreprises, enregistrées en dette pour la durée de leur bail. Prenons l’exemple d’un bâtiment dont le coût de location annuel est des 100 000 € avec un bail de 9 ans. En 2018, les 100 000 € étaient enregistrées en charge d’exploitation. A partir de 2019, La Poste comptabilisera 9 ans (durée du bail) X 100 000 € = 900 000 € en dettes dans son bilan. Et chaque année celles-ci seront diminuées du montant du loyer de l’année en cours mais il ne s’agira plus de charges d’exploitation mais de charges financières. Le législateur part du principe qu’un bail commercial est un engagement fort et qu’il doit donc être comptabilisé comme s’il était dû…
L’impact est énorme dans les comptes de La Poste. Dans le bilan, cette nouvelle dette représente 2.4 Md € ! Dans le résultat d’exploitation (REX) de La Poste, les loyers qui ne sont plus comptabilisés dans ce type de charges font progresser le REX + 35 M € par rapport à 2018, dont + 21 M€ pour Geopost.
Sans cet ajustement comptable, le REX de cette Branche serait négatif de 7,53 %. Le recul est important sur trois pays :
En Allemagne : Geopost a dû s’aligner sur la stratégie de DHL qui a réalisé des ventes à perte pendant des années. De plus, les recrutements de chauffeurs étant difficiles dans ce pays, à leurs grands regrets, les opérateurs du colis ont dû augmenter les salaires…
En Russie : la situation est assez catastrophique puisque l’on a un recul du REX de 274 % et de 6,2 % du volume de colis. Geopost explique l’effondrement du commerce « B to B » (entre les entreprises) par des relations commerciales qui comportent des sanctions entre la Russie et l’Union Européenne. La direction reste cependant optimiste en espérant profiter d’une augmentation des ventes de e-commerce.
En Espagne, d’Amazon développant son propre réseau de distribution, il fournit beaucoup moins de colis à traiter à Geopost. De plus, La Poste a pointé l’impact de l’augmentation du SMIC de 22 % qu’elle n’a pas pu répercuter sur ses tarifs puisque l’annonce a été faite en décembre et applicable dès janvier. Contrairement à La Poste, à SUD, nous nous réjouissons de cette mesure que nous aimerions voir appliquée en France !
Tous ces écueils ne font pas reculer la direction, elle continue à sortir le portefeuille : 750 millions d’euros lors de ce conseil d’administration, pour devenir majoritaire dans une entreprise de colis italienne : BRT. Alors que les postier·e·s souffrent chaque jour de leurs conditions de travail, que la sous-traitance se développe dans notre entreprise, que La Poste vient d’être condamnée à payer 120 000 € pour travail dissimulé et que des sans-papiers ont entamé un bras de fer avec Chronopost depuis plus d’un mois, cet achat sonne comme une provocation pour nombre de salarié·e·s du Groupe.
Opération « Mandarine », encore plus de Monopoly !
La Poste compte bien sur l’opération « Mandarine » et l’arrivée de la CDC comme actionnaire majoritaire pour se refaire la cerise. Dans un contexte de net recul, l’apport de la CNP va lui permettre de dissimuler les errements stratégiques de l’entreprise. La Poste espère que le résultat d’exploitation sera quasiment triplé et que le résultat net sera multiplié par 1,5.
Si certains salarié·e·s pouvaient espérer des jours meilleurs, les propos de la direction douchent tout de suite tout espoir. Ces apports supplémentaires notamment en fonds propres serviront essentiellement à la croissance et aux acquisitions afin d’achever dixit la direction « la nécessaire transformation de La Poste ». Le président de La Poste s’est félicité du projet, mais a également pris exemple sur la transformation de BSN en Danone. Il a ainsi confirmé la nécessité d’injecter encore plus de capital dès l’année prochaine… Une déclaration inquiétante sur ce que pourrait être l’équilibre déjà précaire de l’actionnariat en 2020.
Le futur pacte d’actionnaires est présenté comme un grand pôle bancaire public, mais il ne permettra pas d’orienter la stratégie vers un autre cap que l’augmentation des profits. Il acte globalement le désengagement de l’État dans les services publics avec l’annonce de la création de Maisons France, nouvelles formes de MSAP qui pour l’heure n’ont pas réellement démontré d’un plus pour les usagers. D’ailleurs, celles du réseau postal sont les plus mal notées (baromètre « Marianne » de la direction interministérielle de la transformation publique). Pas étonnant quand on voit les moyens que met La Poste dans ces bureaux. Nos craintes pour l’avenir, ces « Maisons France » risquent de déshabiller Pierre pour habiller Paul...
La direction voit l’aboutissement du projet Mandarine comme un moyen de contrer la baisse du courrier et de maintenir ses bénéfices par l’apport de capital qui va lui permettre de faire des futurs achats de boites importants. Pour SUD, c’est la continuité du changement profond des métiers, que les postiers subissent depuis plusieurs années avec parfois des promotions à la clé mais au prix d’une dégradation catastrophique de leurs conditions de travail. Le malaise dans l’entreprise est bien réel.
Un grand plan d’économies sur le dos des postier·e·s : la Caisse des Dépôts à la manœuvre.
La Poste ayant expliqué que les résultats de 2019 seraient mauvais, comme ceux de 2018 (où elle avait tout de même réalisé un bénéfice de 798 M€ !), elle a dit avoir décidé de la mise en place d’un plan d’économie de 300 millions d’euros (pour 2020 mais débutant en 2019) qui concernera essentiellement le siège et les structures mais sans oublier les Branches…
Cette mesure tombe au moment où l’actionnaire majoritaire de La Poste va changer, et ce n’est pas un hasard… L’Etat ne le sera plus au profit de la CDC (Caisse des Dépôts et Consignation), qui lors du conseil, a indiqué tout le bien qu’elle pensait de ce plan d’économies. Alors que la Caisse des Dépôts n’est pas encore l’actionnaire majoritaire, elle fait déjà pression pour dégager les bénéfices qui seront à l’origine de ses dividendes…
Les services supports sont les premiers visés puisqu’ils représentent 12.4 % des effectifs. Pour La Poste c’est beaucoup trop par rapport aux opérationnels ! Mais certaines directions ont déjà fait de gros efforts avec SLD (Servir Le Développement) et ne s’en sortent pas. Ainsi, la DSRH où travaillent 1 900 postiers a tellement supprimés d’emplois qu’elle travaille aujourd’hui avec 150 intérimaires, au détriment de la qualité de service car il faut des années d’expérience pour connaître la réglementation postale RH…
La BSCC a indiqué qu’elle était concernée pour 100 M€. Elle compte économiser sur le budget communication, les déplacements, les séminaires, les consultants, les loyers… Elle se défend de réaliser ces économies sur le dos du personnel, mais difficile à croire au vu du montant… Les autres Branches ne se sont pas exprimées sur les montants et la façon dont elles s’y prendront, mais n’en doutons pas, tous.
Ces suppressions de poste de travail, l’attrition des embauches y compris des moyens de remplacement ne pourront qu’entraîner une dégradation des conditions de travail et l’austérité salariale. Une mauvaise nouvelle à tout juste trois mois du début des négociations salariales dans l’entreprise.
Nous n’avons de cesse de le répéter, le service public postal est une question centrale, non seulement parce qu’il impacte La Poste, mais parce qu’à terme, il va impacter l’ensemble des services publics sur les territoires. Il est grand temps de mettre la question sur la table d’un vrai pôle public financier à la place de la grande bancassurance qui va se mettre en place uniquement pour concurrencer les autres banques… Si la Banque Postale atteint ses objectifs, elle ne permettra plus d’avoir du cash, comme les autres banques… C’est tout une partie de la population qui sera désemparée… Où est le service public dans ces projets ?
À l’époque où il n’était encore que candidat au poste de PDG, Philippe Wahl présentait son programme de choc pour La Poste. Le magazine Challenge avait alors titré qu’il promettait « du sang et des larmes » aux postier·e·s. Il aura tenu ses promesses…