Cachez cette privatisation que je ne saurais voir…
Un conseil d’administration de septembre a présenté les premières lignes du projet de prise majoritaire du capital de La Poste par la CDC (Caisse des Dépôts et Consignations), révélé il y a un mois par le ministre de l’Économie. À l’origine de cette opération, le rapprochement de la CNP (Caisse Nationale de Prévoyance) et de la Banque Postale qui constitue un énième avatar de la financiarisation de l’entreprise publique. Un projet, si on comprend à demi-mot le président de La Poste, préparé depuis plusieurs mois. [1]
L’opération de communication — d’enfumage — de Bruno LeMaire, bien relayée par Philippe Wahl et Éric Lombard, consistait d’entrée à éloigner le spectre de la privatisation tout en minimisant le poids futur de la Caisse des Dépôts dans le capital de La Poste.
Si on s’arrête sur de pures considérations techniques, il faut bien avouer que nous ne sommes pas dans le cadre d’une privatisation achevée... Pas d’entrée de capitaux privés dans le capital de la Poste, mais augmentation de ceux déjà détenus par une entreprise détenue par l’État. Nous sommes donc dans la continuité du processus engagé en 2010 avec le changement de statut de La Poste.
Si nous devions aller un peu plus loin, le processus de privatisation a bien démarré en 2010 avec le passage en Société Anonyme de La Poste, voire en 2006 avec la création de La Banque Postale, établissement bancaire à part entière.
Ce qui se passe en ce moment n’est que la prochaine étape vers une privatisation de l’entreprise publique.
Ce scénario d’une ouverture encore plus grande du capital de l’entreprise, SUD PTT l’avait déjà pointé dès 2010, lors du passage en société anonyme.
Nous avons à nouveau raison de voir, en l’abandon par l’État de la majorité du capital au profit de la Caisse des dépôts et consignations, une nouvelle étape dans la privatisation rampante de La Poste.
D’ailleurs, certain·e·s, loin d’être des anticapitalistes forcenés, ne se trompent pas sur les intentions du gouvernement : sur le plateau de C’est dans l’air (France 5), la quasi-totalité des participant·e·s admettait, et pour certains s’en félicitaient, que ce projet ne pouvait à terme que conduire à une privatisation de l’entreprise.
Qui va détenir quoi ?
On peut d’ailleurs d’autant plus craindre ce scénario que le flou est entretenu autour du pourcentage de participation au capital de l’entreprise par la Caisse des Dépôts. Le gouvernement et les directions des deux entreprises publiques parlent d’une montée au capital qui serait entre 50 et 60 % au maximum. Une estimation assez bizarre quand on sait que l’estimation actuelle du Groupe La Poste est autour de 5 milliards. La CDC en possède déjà 26 %, soit 1,5 milliard qu’elle avait apportés au moment de la privatisation.
La valorisation de la CNP sera au minimum de 6,5 milliards (et tout le monde s’entend sur le fait que cela pourrait être plus), même si peut se poser la question de l’apport qu’a pu avoir La Poste dans les profits de la CNP en vendant des produits de la filiale de la CDC.
La valorisation du Groupe La Poste par contre pourrait être revue à la baisse, au vu de la chute du courrier et des ventes immobilières constantes. En partant d’une fourchette basse, on arrive à un pourcentage de 70 % détenu par la CDC, déjà bien au-dessus des 60 % sur lesquels la direction communique (FO annonce environ 73 % dans un communiqué récent alors qu’un des hauts dirigeants de l’entreprise nous annonçait un maximum de 60 %... On voit déjà le slalom géant qui commence).
Coïncidence ou pas, au même moment un cavalier est introduit dans la loi PACTE sur la composition du conseil d’administration. L’État, la direction de La Poste et de la CDC se veulent rassurants : « cela serait juste un moyen de se mettre en conformité avec les différentes réglementations… », dont une ordonnance datant de 2014, lui permettant d’avoir une majorité confortable au conseil d’administration.
En effet, la CDC a glissé qu’elle aurait 11 représentant·e·s au conseil d’administration, soit 3 pour l’État, car les représentant·e·s des salarié·e·s resteraient au nombre de 7. Comme l’amendement à la loi Pacte présenté par le gouvernement (voir plus bas) garantit une représentation identique au CA et pour les actionnaires, la projection voudrait que la CDC représente environ 78 % du capital de la Poste.
La CDC au contrôle...
Pour essayer de rassurer les grognons, le gouvernement a introduit dans son amendement une ligne garantissant le contrôle économique et financier de La Poste par l’État. Cette garantie concerne principalement les missions de service public qui seront, selon les informations, rediscutées dans le cadre des négociations [2]
Donc, 4 ans après la publication de cette ordonnance de 2014 (citée plus haut), il est décidé de faire concorder les décisions en AG d’actionnaires et celles du CA, comme si tout ce petit monde se réveillait et, comme par hasard, juste au moment des transactions sur cette question du Capital de l’entreprise publique. Encore plus curieux, ce changement permettra de ne pas avoir de différence entre les décisions prises lors des AG d’actionnaires et les conseils d’administration dans un souci de « sécurisation » des décisions de l’actionnaire majoritaire. Un léger euphémisme pour signifier que tout pouvoir pourrait être donné à l’actionnaire majoritaire qui sera dans les 18 mois qui viennent... la CDC.
…Péril pour le personnel,
Cette volonté de contrôle des décisions ne sera pas sans conséquence, notamment sur les postier·e·s du groupe en termes de conditions de travail. Depuis le début de son entrée dans le capital, la CDC ne s’est pas cachée de sa volonté de voir son implication traduite dans la captation d’un maximum de dividendes. Il est clair qu’elle va se concrétiser par plus de pressions sur les personnels, notamment commerciales pour ceux de la Banque Postale. Après un calcul, son coefficient d’exploitation [3] pourrait atteindre la moyenne de celui des banques après la prise de contrats de la CNP par LBP.
Cependant, la volonté sera sans doute de continuer les efforts de productivité dans le milieu bancaire, de diminuer encore le personnel travaillant pour La Banque Postale et de fermer les bureaux de Poste…
Au vu des déclarations des uns et des autres, l’avenir du courrier et de son personnel est aussi incertain. Il semblerait qu’il ne fasse plus vraiment partie de la stratégie de l’entreprise. Alors qu’elle projette un poids de moins de 20 % du courrier dans le Chiffre d’Affaires à l’horizon 2020 après ce rachat de la CNP [4] , la Poste ne se cache plus d’un changement de dogme stratégique.
La Banque et le colis deviennent des axes prioritaires, renforcés par les services à la personne. D’ailleurs, le PDG de La Poste ne se cachait pas dans des discussions avec les organisations syndicales de ses velléités de se développer encore plus à l’international. Un développement qui, si on suit les achats des dernières années, pourrait encore s’orienter vers le colis. Or les exemples expansionnistes, notamment de La Poste hollandaise sur cette question, par exemple aux USA, ne sont pas ce que l’on peut appeler concluants avec les conséquences sur le personnel que cela soit pour le nombre d’emplois et les conditions de travail. Une bien triste perspective pour le personnel.
et le service public….
Enfin, plus important, reste, dans ce grand mariage, la question du service public qui a été passée largement sous silence par les parties engagées.
Depuis de nombreuses années, l’État se garde bien de verser à La Poste la juste compensation des quatre missions de service public qu’elle effectue. Et à calculer, cela correspond à des sommes très importantes (plusieurs centaines de millions d’euros depuis 6 ans). Un montant bien loin des dividendes que pourront ponctionner les deux actionnaires. Pour SUD PTT ces dividendes devraient servir à l’amélioration des services publics et à augmenter le salaire des postier·e·s (une prime de 750 euros pour toutes et tous les salarié·e·s du groupe). Il est à penser que la CDC voudra à la fois renégocier ces compensations à la hausse et ne pas s’asseoir sur les dividendes du Groupe après le passage de la CNP à La Poste.
En effet, ce sont 500 à 600 millions de résultats annuels de la CNP qui basculeront dans ceux de La Poste. On voit mal la CDC faire cadeau de ces millions…
Les dividendes reste une question centrale surtout sur leur utilisation. Ces dividendes doivent être utilisé à renforcer à la fois le service public et à augmenter la rémunération des personnels.
Engager une bataille contre la prise de contrôle de la Caisse des Dépôts.
Nous n’en sommes qu’au début des découvertes et des implications politiques et économiques que ce dossier va soulever.
Et les questions ne vont pas manquer, malgré l’enthousiasme des deux organisations syndicales FO et la CFDT, pour un projet qui malmènera le service public et les salarié·e·s de la maison mère, mais aussi de l’ensemble du groupe.
La montée dans le capital de la Poste par la CDC a été présentée comme une solution pour sauver l’entreprise publique face à la baisse du volume du courrier et donc du chiffre d’affaires. Pourtant, le modèle proposé depuis l’ouverture du capital de l’entreprise montre chaque jour ses limites dans un entre-deux qui n’est pas tenable économiquement et politiquement. La direction de la Poste et le gouvernement font clairement le choix d’un modèle qui signera à terme la mort du service public. Nous le disons au contraire que le seul viable, pour la population comme pour les personnels, est celui d’une entreprise 100% publique, dont l’organisation et les missions seraient discutées et décidées par les usager·e·s, et les postier·e·s.
Évidemment, le choix de faire un pas de plus dans la privatisation totale de La Poste est totalement à l’opposé de cette conception.
SUD réclame maintenant une vraie campagne pour qu’un véritable service public postal soit mis en place. Et pour nous, cela ne pourra avoir lieu qu’en combattant pied à pied ce rachat.
[1] Remi Weber, directeur de La Banque Postale avoué à demi-mot que les changements opérés à la CNP il y a cinq ans avaient déjà préparé le terrain.
[2] Bizarrement, lors des débats, Philippe Wahl glissait comme cela que les services aux personnes âgées constituaient une mission de service public de La Poste.
[3] Le coefficient d’exploitation symbolise les « gains » réalisés par une banque. Il est calculé en divisant les charges d’exploitation par le produit net bancaire. Plus il est bas, plus il est bon pour les capitalistes. Le principal moyen de le faire baisser est de faire diminuer le nombre d’employé·e·s
[4] Le colis et La Banque postale pourraient représenter environ1/3 du CA chacun à ce même horizon
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